Dans le village, il y a une école primaire. Pourtant, la plupart des femmes (et quelques hommes) ne l’ont pas fréquentée, et ne parlent pas français, la langue de l’administration sénégalaise, mais le dialonké ou le peul. Elles ne savent pas lire et écrire, même leur propre nom ou prénom. Il est plus facile pour moi d’aller à Dakar que pour elles. Elles sont comme étrangères dans leur pays.
À chaque fois que je propose des petits cours d’alphabétisation juste après le travail (rémunéré) dans le champ, ils ont toujours beaucoup de succès. J’ai voulu élargir les séances à d’autres moments, à d’autres femmes. À ma grande déception, personne n’est venu. Elles m’ont expliqué qu’elles avaient trop de travail. Et c’est vrai.
Quand on est pauvre, la survie prend du temps. Imaginez, vous vous levez, vous allumez la cafetière. Ici non. Vous faites chauffer l’eau pour le riz au feu de bois que vous avez coupé, ramassé et transporté sur la tête les jours précédents. Évidemment acheter et manger une baguette c’est plus rapide que faire cuire du riz. Mais c’est aussi beaucoup plus cher. Ensuite, si vous avez la chance d’avoir cultivé quelques pieds de maïs et d’arachide (en plus du riz) ce qui est éreintant et chronophage quand on a pour outil juste une petite houe de 20 cm, vous avez donc du grain à piler. Pas de mixeur électrique bien sûr. De toute façon le village n’est pas raccordé. Et il est bientôt temps de préparer le repas de midi. Après le repas, comme il n’y a pas l’eau courante, vous allez à la rivière toujours avec les gamelles sur la tête. Demain c’est votre co-épouse qui ira. Vous vous occuperez du linge. Là aussi, à la rivière. Vous emmenez les enfants. Les plus âgés s’occuperont des plus jeunes. Fin d’après midi. Une fois rentrée à la maison, il y a la corvée d’eau potable. Si vous êtes riche, vous avez peut-être un puits. Si vous faites partie de la majorité des habitants, vous devez vous rendre au forage avec vos bidons, faire la queue, puis pomper. Envoyez vos filles, elles peuvent porter des bidons de 20 litres. Ah oui, penser au bois. Non, pour aujourd’hui c’est bon. Sinon, envoyez vos jeunes garçons. Ils savent utiliser la hache et la machette. Par contre le petit est malade, il faut aller dans la brousse cueillir quelques feuilles médicaments. Rentrer faire à manger, se laver si vous ne l’avez pas fait dans la rivière polluée. Si le besoin d’argent est trop urgent, vous pouvez travailler avec votre mari à la mine (tout en gardant les enfants) malgré le danger, même si les gains restent faibles et aléatoires.
Bref, aller à l’école, apprendre à lire, on verra ça quand on aura un peu de temps. Quand les infrastructures permettront le raccordement à l’eau potable dans les foyers pour commencer. Alors commençons par construire un haut-fourneau, et produisons des tuyaux de raccordement. Puis des outils agricoles, et bien d’autres choses encore.
Le temps des femmes se libèrera. L’instruction suivra, si nécessaire.